Charles Torossian
Inspecteur général de l’éducation, du sport et de la recherche
Directeur de l'Institut des hautes études de l'éducation et de la formation
Pourquoi la formation est-elle une réponse aux nouveaux défis des cadres de l’éducation dans les prochaines années ?
Pour mieux former les cadres, il convient de se poser une question fondamentale : à quoi sert un personnel d’encadrement de l’éducation et pourquoi le former ? Dans son projet stratégique, l’IH2EF fait le pari que les cadres mieux formés seront en capacité d’améliorer la performance du système éducatif dans son ensemble et de décorréler les résultats scolaires des variables sociales. Les cadres servent un grand projet : le service public d’éducation. La finalité de tous nos choix de formation est toujours de permettre aux cadres formés d’avoir un impact positif sur les usagers que sont les professeurs et les élèves.
La formation continue est la clé de la transformation de notre pays pour développer son excellence en matière d’éducation et les besoins de formation, particulièrement pour les cadres augmentent. Pourquoi ?
D’abord en raison de l’accélération du numérique dont l’impact est massif sur les métiers de l’éducation. Nous avons encore beaucoup d’efforts à fournir pour maîtriser cet environnement de la donnée, pourtant déterminant pour les cadres dans leur mission d’accompagnement des élèves et des étudiants sur le chemin du travail, du bien-être, de l’excellence, de l’égalité des chances. Le numérique est partout, dans les apprentissages, le pilotage, l’analyse, la performance et l’organisation.
L’enjeu aujourd’hui est la dynamique. Sortir de l’analyse statique pour pouvoir comprendre et piloter une trajectoire est essentiel.
Ensuite parce que l’ambition de former de plus en plus d’élèves a entraîné une évolution rapide et une complexification des missions des personnels de direction ; ce qui conditionne la transformation à venir de l’action publique et celle de l’IH2EF en tant qu’opérateur de formation pour les cadres. Nous croyons fondamentalement que l’encadrement joue un rôle essentiel dans la qualité du système éducatif, un rôle de levier. Il organise les conditions d’exercice pour que les professeurs et les élèves apprennent mieux. Le cadre devient un vecteur de régulation d’un large écosystème complexe qui implique de nombreux acteurs, parents, élèves, professeurs, société, et de nombreuses variables comme le numérique, l’intelligence artificielle, les addictions, la sécurité, etc.
Les nouvelles attentes des cadres, qui doivent notamment garantir la qualité de vie au travail des équipes éducatives chargées des élèves et des étudiants, nécessitent de nouvelles compétences autour de la responsabilisation, du leadership, de l’autonomie, et des formations construites pour répondre à leurs besoins dans l’exercice de leurs fonctions. Notre ambition est de faire de l’encadrement intermédiaire le point d’appui des transformations au service de l’apprentissage des élèves en s'assurant que l’initiative et la responsabilité locales prennent le relais du pilotage par la norme établie au niveau central. Les cadres travaillent à la création du liant, du collectif autour de projets communs tout en gérant les individualités. Le pari de l’Institut pour 2030 est de contribuer à forger une identité culturelle forte par établissement scolaire. L’enjeu est de créer des lieux de vie et d’interactions où professeurs, encadrants et élèves se sentent appartenir à un projet commun. Faire de nos établissements des lieux de développement professionnel pour nos enseignants et l’ensemble des équipes pédagogiques me paraît une belle perspective. Enfin, la formation aujourd’hui doit être interactive et objectivée : nourrie à la fois par les retours de terrain issus de situations réelles et par les apports de la science.
Quels sont les grands sujets pédagogiques que la formation devra permettre aux cadres d’aborder avec
efficacité ?
Les grands sujets pédagogiques d’ici 2030, toujours en lien avec les recherches scientifiques les plus récentes, me semblent être le leadership scolaire, la gestion des marges d’autonomie des EPLE, la question de l’orientation et du parcours de l’élève, l’évaluation (des élèves ou des personnels), le bien-être et l’inclusion pour créer un cadre propice aux apprentissages, et surtout la question de l’efficacité pédagogique. L’évaluation me semble une question centrale ; le sujet évolue rapidement notamment au regard du concept de parcours. L’évaluation, je pense à la note chiffrée, est un concept vertical qui doit se métamorphoser en un concept horizontal plus dynamique. C’est là que les concepts de pilotage par la donnée prendront tout leur sens. Également, porter les valeurs de la République pour faire de nos élèves des citoyens positivement engagés, me semble une constante.
Comment se positionne l’IH2EF face à ces enjeux ?
Je dis souvent que l’IH2EF est à la fois un incubateur de l’innovation que l’on souhaite proche de la recherche et de l’international (nous sommes accrédités Erasmus+), mais aussi un assembleur et le liant des innovations académiques. C’est pourquoi nous travaillons à une meilleure synergie avec l’ensemble des académies. Nous avons une position centrale aux côtés de la direction de l’encadrement, sur la formation initiale et continuée. Notre position nous permet de prendre des risques en matière d’offre de formation : tester des formats (notamment sur les usages numériques), des thématiques. Aussi, nous mettons beaucoup d’énergie à mieux personnaliser notre offre de formation, notamment en formation initiale, pour prendre en compte les parcours précédant la prise de poste. Nous venons de lancer une évolution de la formation initiale dans le cadre d’une approche par compétences et poursuivrons avec un e-portfolio.
Que diriez-vous à un jeune cadre de direction en devenir ?
Je lui dirais que c’est un métier qui demande à la fois de penser loin et de savoir agir en proximité. Il faut comprendre les enjeux éducatifs, les ambitions que la Nation porte pour ses jeunes, mais savoir les interpréter dans leur contexte réel et local. Chaque établissement est différent, chaque environnement est particulier. Vous allez vous engager dans un métier passionnant, exigeant – certains disent H24 – qui est à géométrie variable. Je lui dirais encore : vous devrez faire preuve d’adaptabilité, savoir impulser sans commander, exercer une autorité sans être autoritaire, savoir écouter et exercer une bienveillance mais savoir décider en conscience, enfin porter en toute chose une éthique et être exemplaire. Je lui dirais enfin que c’est un métier qui met la trajectoire des élèves en perspective via la capacité à animer des équipes pédagogiques composées d'adultes.
