Flandres : l’émergence de pratiques de leadership parmi les chefs d’établissement

Publié le 29 novembre 2023

En introduction au colloque international Enjeux et défis du leadership pédagogique et scolaire au XXIe siècle, l’IH2EF vous propose des présentations du contexte scolaire dans une douzaine de pays, essentiellement européens. Rédigées par Romuald Normand, professeur à l’université de Strasbourg et directeur scientifique de ce colloque, ces présentations permettent de saisir les différents contextes et enjeux scolaires qui seront évoqués par les intervenants.

Des chercheurs ont mené 19 entretiens semi-structurés en profondeur avec des chefs d'établissement flamands qui ont détaillé leurs pratiques de leadership et leurs points de vue sur le leadership efficace dans l'enseignement secondaire. Ils se sont faits aider par des accompagnateurs (ou coachs). Les chefs d’établissement ont décrit les tâches qui requièrent le plus de leur attention au cours d'une semaine de travail. Les chercheurs se sont intéressés aux attitudes, savoirs, compétences et qualités morales qu'un chef d’établissement flamand devrait posséder idéalement ou les comportements qu'il pouvait manifester pour réussir dans sa mission.

Pour caractériser le leadership pédagogique du chef d’établissement flamand, les chercheurs ont pris en compte toutes les références relatives à la "définition de la vision et des objectifs de l’établissement", la "gestion de la pédagogie" et la "promotion du climat d'apprentissage dans l’établissement". Pour le leadership distribué, ils ont pris en compte tout ce qui pouvait être lié à :

  • la délégation et la répartition formelle des responsabilités ;
  • la participation élargie des enseignants (participation à la politique d’établissement et à la prise de décision, consultation régulière par le biais de structures claires et transparentes) ;
  • la facilitation de la coopération entre les enseignants ;
  • la construction et le maintien d'une culture adaptée au leadership distribué (par exemple, une culture qui permet l'autonomie, l’ouverture et la confiance et qui encourage la prise de responsabilités) ;
  • le développement professionnel (comme condition préalable à la prise de responsabilités au sein de l’établissement).

Interrogés sur une semaine de leur vie professionnelle, les chefs d’établissement ont décrit une grande diversité d'activités et d'actions qu’ils mettaient en œuvre dans l’administration et la gestion de l’organisation scolaire, à savoir tout ce qui relève :

  • des relations interpersonnelles et du bien-être du personnel (par exemple, écouter les petites frustrations et préoccupations indirectement ou non liées à la sphère professionnelle) ;
  • de la préparation et le suivi de grands projets indirectement liés à la scolarité (par exemple, les fusions d'écoles, les projets de réaménagement et les travaux de construction) ;
  • de l'organisation, planification et diffusion d'informations pertinentes (par exemple, répondre aux courriels et aux appels téléphoniques, suivre l'évolution de la situation) ;
  • de la gestion des ressources humaines et de l'administration et coordination de l’information (par exemple, les tâches les plus opérationnelles qui sont normalement assignées à un secrétariat, comme la surveillance de la cour de récréation à l'heure du déjeuner, l'enregistrement des absences des élèves, etc.).

L'examen plus approfondi des entretiens a permis de dégager quelques conclusions.

Premièrement, dans toutes les catégories d'activités, les chefs d'établissement sont souvent occupés par les activités les plus pratiques. Par exemple, ils doivent faire face à ce qu'ils appellent fréquemment des "problèmes ad hoc" ou "éteindre des incendies", comme remplacer des enseignants malades, censurer des élèves ou résoudre des conflits interpersonnels entre le personnel et/ou les élèves. Dans plusieurs cas, il apparaît que ce sont précisément ces petits problèmes et les solutions ad hoc correspondantes qui les empêchent d'élaborer une vision ambitieuse à long terme pour l'établissement, de la mettre en œuvre et de la gérer. La citation suivante permet d'illustrer ce point : "En raison de tous les petits conflits interpersonnels que je dois constamment gérer, je ne trouve pas assez de temps pour travailler sur les choses que j'aimerais vraiment faire : définir une vision et une stratégie et terminer les plans d’action" (une cheffe d’établissement avec 4 ans d'expérience). 14 des 22 personnes interrogées indiquent clairement qu'elles manquent de temps pour se concentrer sur l'enseignement et l'apprentissage des élèves.
Ainsi, l'élaboration du projet d’établissement est souvent considéré comme un travail effectué pendant les week-ends ou durant les vacances : "Ce que je remarque souvent, c'est que les chefs d'établissement travaillent sur des choses très opérationnelles, allant des horaires d'enseignement qui doivent être élaborés à la gestion des élèves qui doivent être contrôlés [...]. Cela leur prend beaucoup de temps, ce qui les amène - pour ainsi dire - à faire la vraie part de leur travail, à savoir réfléchir à l'avenir de l’établissement, après le temps scolaire" (un accompagnateur des chefs d’établissement avec 4 ans d'expérience).

Les chefs d’établissement font rarement la différence entre l'enseignement, les programmes scolaires et l'évaluation et ils ont tendance à les considérer comme un ensemble complexe, car il leur reste trop peu de temps pour démêler ces trois éléments. "Dans 99 % des cas, je gère, c'est-à-dire que j'organise l’établissement, je dirige le personnel, je résous les problèmes, je prends des décisions ad hoc ? En fait, il suffit que je m'assoie pour que les problèmes arrivent dans mon bureau. Je pense que c'est l'un des problèmes : je suis devenu chef d’établissement pour faire de la pédagogie. Pourtant, si vous regardez ce à quoi je consacre mon temps, c'est purement de la gestion" (chef d’établissement avec 12 ans d'expérience).
Finalement l’activité des chefs d’établissement laisse peu de place à la discussion de questions personnelles et interpersonnelles comme à la relation avec les enseignants (par exemple, en offrant une écoute attentive et/ou en gérant les frustrations). Pourtant, 5 des 19 chefs d’établissement signalent que ce type de communication a lieu quotidiennement.
"En tant que principal responsable du personnel, je suis presque constamment occupé par les gens. Je pratique la politique de la porte ouverte, ce qui signifie que les personnes sont constamment présentes pour les petits et les grands problèmes. Mais c’est très important pour leur bien-être. Lorsque je suis partie - en repensant aux commentaires que j'ai reçus à l'époque - c'est ce qu'ils ont énormément apprécié : nous pouvions venir et vous nous libériez du temps, même si nous savions que vous étiez très occupée" (cheffe d’établissement avec 5 ans d'expérience).

Il semble donc que la focalisation sur le personnel se limite à une interprétation étroite et limitée à la gestion des ressources humaines alors que le bien être des enseignants et le temps consacré aux questions interpersonnelles sont plutôt négligés, malgré l’importance de la gestion des émotions soulignées par les recherches internationales sur le leadership scolaire.
Malgré cela, tout au long des entretiens, les chefs d'établissement flamands ont mentionné des éléments de leadership transformationnel et distribué, bien plus d’ailleurs que de leadership pédagogique. Un nombre considérable de personnes interrogées ont souligné l'importance d'une distribution adéquate des responsabilités et d'une culture de l’accompagnement pour un enseignement efficace. Certains d’entre eux considèrent qu’un leadership efficace nécessite une collaboration et une bonne communication au sein de l’équipe de direction, le maintien d'une culture scolaire caractérisée par l'ouverture, la volonté de partager du matériel didactique et des expériences significatives, une confiance profonde pour expérimenter et prendre des responsabilités au sein des équipes d'enseignants, la conception de structures claires et logiques dans lesquelles les enseignants peuvent évoluer, la possibilité de s'exprimer dans la prise de décision, l'octroi aux enseignants d'opportunités d'être co-créatifs et de se développer professionnellement, le suivi de ces efforts de développement professionnel pour le bien de l'ensemble de l’établissement. Comme le dit l'une des personnes interrogées : "Un élément très important pour moi est de faire les choses ensemble dans cet établissement. Nous discutons collectivement de sujets pour lesquels ma confiance en chaque collègue est de 100 %. Et je ne demanderai jamais à quelqu'un de rendre des comptes. Jamais. Qu'il s'agisse de minutes ou de préparations réduites, je ne veux rien voir de tel. Je pense qu'il s'agit là d'un piège dans lequel tombent beaucoup de [chefs d’établissement] : avoir un mécanisme de contrôle. Arrêtez ce genre de choses parce que vous vous rendez la tâche difficile et vous privez les gens de leur créativité" (chef d’établissement avec 10 ans d'expérience).

Si l'on examine plus en profondeur ce qui a été dit sur le leadership partagé, 41 % des références contiennent des allusions à une délégation formelle des responsabilités (par exemple, une répartition des tâches qui peut être retracée au sein de la structure organisationnelle). En outre, le degré de distribution formelle varie d'un cas à l'autre. Les citations suivantes mettent en évidence ces variations :
- "Dans notre établissement, l’équipe de direction compte quatre membres. Nous essayons de répartir les tâches entre les quatre en fonction de la formation, de la personnalité et des capacités de chacun" (cheffe d’établissement avec 19 ans d'expérience).
- "J'ai beaucoup d'organes délibératifs dans mon établissement. Je l’ai divisé en quatre grands groupes. Chaque groupe comprend huit classes. Un coordinateur est à la tête de ces huit classes et les gère en coopération avec tous les maîtres de stage. Pour moi, c'est très utile car ce sont mes personnes de contact qui me permettent de rester au courant de tout ce qui se passe dans les classes. Souvent, je laisse les choses se faire. En cas de besoin, je suis appelé [pour traiter] avec les élèves et les parents" (chef d’établissement avec 10 ans d'expérience).
Ces deux citations décrivent la manière claire et formelle d'organiser et de répartir les responsabilités au sein d’un établissement. Cependant, alors que le premier exemple s'en tient à une approche hiérarchique, le second implique une position innovante en matière de distribution des responsabilités : une position qui permet un leadership informel.
Les entretiens montrent que ce type de leadership distribué est plus rare. Dans certains cas, l’étude des chercheurs flamands a pu discerner un écart entre ce qui est considéré comme souhaitable en termes de leadership scolaire efficace (c'est-à-dire encourager le leadership informel) et ce qui se passe réellement lorsqu'il s'agit d'une distribution intentionnelle des responsabilités de leadership (c'est-à-dire une distribution qui maintient une chaîne hiérarchique de responsabilités). Ou, comme l'a déclaré l'une des personnes interrogées : "[Faire confiance] est la chose la plus difficile à faire : lâcher prise, déléguer et accepter que tant que les choses suivent leur cours, on n'entende pas parler d'eux. S'il y a des problèmes, ils savent qu'ils doivent m'en informer pour que je puisse les aider à trouver une solution. Je crois que c'est notre devoir [en tant que chef d’établissement]. - Tout en proclamant : "Je délègue tout simplement beaucoup de choses liées à l'administration", je veux être tenu au courant. Qu'ils sachent. En fin de compte, si une décision doit être prise, je suis toujours impliqué" (chef d’établissement avec 12 ans d'expérience).

Les résultats démontrent que même si les chefs d'établissement secondaire flamands pratiquent une riche diversité d'activités professionnelles, la majorité de leurs actions restent très opérationnelles. Ces préoccupations organisationnelles et interpersonnelles ad hoc les empêchent d'exercer un leadership pédagogique . Cette situation est problématique, car la recherche internationale démontre que c’est ce type de leadership pédagogique qui a le plus d’effets sur l’amélioration de la réussite des élèves.


Source : Laurien Coenen, Annie Hondeghem & Wouter Schelfhout (2021): The emergence of leadership for learning beliefs among Flemish secondary school leaders, International Journal of Leadership in Education, DOI: 10.1080/13603124.2020.1850869